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Tranche de vie : La sororité

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Pour ma vieille amie Marie, ce vendredi 31 du mois aura été le jour de la fin de sa vie. Ça n’a pas été une journée ordinaire. Au-dehors, des vies suivaient leur cours, mais, en ce jour où sa vie s’est éteinte et les jours d’après, mes pensées sont allées vers elle et m’ont ramenée aux moments irremplaçables passés en sa compagnie.

Nous n’avions ni le même sang ni le même âge, mais un lien silencieux s’était créé spontanément. Un échange de regards et de sourires a suffi pour comprendre que nous parlions le même langage et que nous avions envie d’apprendre à nous connaître. J’avais le sentiment d’être un peu sa jeune sœur.

Une source d’inspiration

À nos premières rencontres, j’étais une adolescente timide et émotive qui n’était jamais tout à fait à l’aise avec les gens et je ne savais pas les aborder. Quelque chose chez Marie m’inspirait la confiance. Elle m’a parlé comme personne ne l’avait encore fait et ça m’a donné envie de faire confiance en la vie. Elle m’a dit que j’avais le droit et le devoir d’être ce que je rêvais d’être.

Je suis devenue une jeune femme et le temps faisant évoluer nos rapports. À son tour, elle m’a ouvert son cœur. J’ai été son « écoutante ». Ses confidences m’ont fait me sentir importante. Vu les décennies qui nous séparaient, nos vies ne se ressemblaient en rien, mais on pensait les choses de la même façon. En observant la manière protectrice qu’avait Marie de regarder ses enfants et ceux qu’elle aimait, j’ai eu envie de l’imiter et de devenir une aussi bonne mère. Je me suis dit que l’amour, ça devait nécessairement être quand l’autre vous regardait et voyait au fond de vous ce que vous rêvez d’être.

La sororité

La sororité est un mot que l’on n’entend pas souvent, mais qui est simplement une manière de vivre en partageant avec d’autres femmes. C’est un aspect de la féminité qui n’a rien à voir avec l’esthétique, la beauté, la mode ou la déco. La sororité, c’est quelqu’un qui offre son aide et apporte un soutien. C’est un mot qui décrit des liens qui rassemblent les femmes. C’est une communauté d’idées qui permet d’entrer dans la vie de nos semblables, de nos sœurs, de nos mères, de nos tantes, de nos grand-mères. C’est une forme d’amour tendre, un lien de cœur.

Même si j’ai l’impression que la notion de sororité est peu considérée, de ce petit mot spécial, je me suis fait un outil de travail. Il m’est devenu une façon de m’impliquer socialement et de mettre en lumière les femmes. À travers les étapes universitaires qui m’ont amenée à écrire, j’ai développé une mentalité collective où je suis devenue attentive aux comportements d’entraide et de solidarité féminine. À travers les éditions du Cram et maintenant dans le magazine Les Radieuses, écrire me permet d’exprimer la voix d’autres femmes et d’explorer les voies susceptibles d’améliorer les conditions de vie propres aux femmes, car il y a encore des luttes à mener. À travers l’écriture, à partir de leurs expériences et de leurs connaissances, je me suis offert la chance d’entendre des sentiments qui font écho en moi et qui me permettent d’avoir une perspective plus claire de la vie au féminin. Il m’importe de rejoindre d’autres femmes pour qu’elles se sentent entourées et reconnues et qu’elles aient le courage d’aller au bout de leurs possibilités.

Il y a des femmes exceptionnelles et solidaires des autres, mais rien n’est jamais parfait. Il y a aussi des femmes calculatrices, arrivistes, égoïstes, mesquines, jalouses, imposteurs et menteuses qui utilisent une fausse sororité pour duper froidement et prendre parti pour des causes moins justes. Décevant, mais vrai!

C’est auprès de Marie que j’ai découvert la capacité d’entraide entre femmes, cette valeur toute naturelle et pas spectaculaire pour deux sous. Le fait d’être des femmes et de vibrer aux mêmes émotions est déjà une affinité, une connivence naturelle, l’élément fondateur qui prédispose à la sororité. C’est une relation qui donne envie d’être une fille, de devenir une femme et de ne pas nier sa féminité. De mon point de vue, la sororité est une main tendue où la conversation est possible. C’est une force collaborative qui, dans le partage, est le début d’une avancée sur le plan des questions sensibles qui touchent les conditionnements et les droits des femmes. L’union fait la force!

Notre dernier échange

Quelques jours avant sa mort, je lui ai parlé au téléphone. L’idée de la mort de ceux qu’on aime n’est jamais banale. Qu’est-ce qu’on peut dire à quelqu’un qui a décidé du jour de sa mort? Dès mon bonjour, elle a été égale à elle-même. Elle s’est intéressée aux autres avant de parler d’elle. De mon côté, comme si la mort était déjà entre nous, je ressentais un malaise. Comme chacune de ses visites avait embelli ma vie et celle de mes enfants, j’ai évoqué, avec le cœur gros, quelques beaux souvenirs en sa compagnie. — Comment vas-tu Clo? Comment vont les enfants? — Nous allons tous bien. Te souviens-tu Marie à quel point mon fils, haut comme trois pommes, était heureux quand, avant ton départ, la semaine précédant Noël, tu lui as offert la poussette avec une tirette musicale? Tu lui as dit : C’est un cadeau du père Noël. Sa sœur a dit : « Non! C’est un cadeau de toi, Marie! Les enfants collés contre toi, tu t’es mise à rire. Te souviens-tu, Marie, de la première communion de ma fille? Elle a exigé que ce soit toi qui lui fasses des tresses. Tu y as épinglé de jolies marguerites. Elle se trouvait belle! Sais-tu qu’elle t’aimait plus que sa grand-mère…

Sans s’étendre sur les adieux, de sa voix habituelle, Marie a clos mon appel en me disant : « Je crois que c’est la dernière fois qu’on se parle de nos beaux moments ensemble. Tu sais, vivre avec la douleur, c’est plus pénible que de demander l’aide à mourir. Mon corps ne souffrira plus. Je t’aime beaucoup! Dis bonjour aux enfants de ma part. »

J’ai raccroché les yeux pleins de larmes. J’avais du chagrin de perdre mon âme sœur, mais je n’ai que de la reconnaissance envers ses mots et sa présence réconfortante.

Je souhaite à toutes les femmes d’aujourd’hui, collées à leur téléphone, de connaître une amitié exceptionnelle et de profiter des merveilles de leur être féminin.

Dans une discussion sur la sororité, avec un rire dans les yeux, une amie commune de Marie et moi, qui a plus de 50 ans de mariage m’a dit : « La sororité au plus que parfait serait de vivre le quotidien, avec une femme, sans rapport de force et sans stratégie de séduction et de coucher avec un homme, quand bon nous semble. »

Marie aurait bien ri d’entendre ça!

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