Tranche de vie : Un début de vie à refleurir - Les Radieuses

Tranche de vie : Un début de vie à refleurir

Les mots mordants de ces humains qui disaient m’aimer et qui, ensuite, parlaient de charité chrétienne, je les ai accusés silencieusement. Pour certains, la blessure invisible que je traînais depuis mon passé pouvait se réparer par la religion : L’opium des peuples, disaient Marx et Lénine. Je n’ai jamais partagé la passion de ceux qui idolâtrent un Dieu. Je n’ai pas cette croyance aux manifestations extraordinaires de l’Immaculée Conception, de la Résurrection et des Noces de Cana. Pour mettre cette blessure derrière moi, je n’espérais ni le miracle divin ni la révélation. Je me suis plutôt nourrie de rêves.

Un jardin de rêves et de fleurs

Mais, il ne suffit pas d’ignorer les ombres du passé pour que le futur rêvé existe. Il me fallait agir. Dans la magie du soir, après l’heure rose et dorée, en scrutant le ciel qui tournait à l’heure bleue et violacée, j’ai trouvé ce qui, à ce moment de ma vie, m’apporterait une motivation et une quiétude. Une activité à la fois inhabituelle et saine : je ferais un jardin de fleurs!

Dans ce jardin, la lumière m’a lentement rejointe. De façon inexplicable, le travail physique, l’air et le vent ont emporté une grande part de tensions. En quelques années, entre les fleurs et les tendresses de ceux qui m’aimaient, je suis devenue moins furieuse contre ceux de mon enfance et contre moi-même. À passer des jours à creuser, à planter, à enraciner et à remuer la terre, sans m’en rendre compte, je me suis refaite. Les mots blessants et toxiques mis en moi ont été remplacés par les noms des fleurs, par l’agencement des couleurs et par les parfums. Comme les fleurs de mon jardin, mon état de bien-être s’est mis à croitre et, peu à peu, les doutes et les insécurités ont fait place à une petite flamme d’espoir. Enveloppée dans cette oasis de beauté, à petits pas, à force de réflexions, je me suis fortifiée et suis sortie des ombres nuisibles de mon passé.

Se reconnaître et grandir

L’environnement où l’on vit est notre terreau d’enracinement et de développement. Sous l’effet bienfaisant des arbres et des fleurs, j’ai d’abord reconnu mes insécurités et ma colère. Puis, je suis devenue capable d’analyser, avec un esprit avisé, le monde affectif dans lequel j’avais été projetée. J’ai appris à reconnaître les vrais élans du cœur et à repérer les gens qui ont un double fond; j’ai compris à qui ne pas accorder ma confiance et à garder mes distances devant les obstacles que je savais ne pas pouvoir franchir. Au milieu des sons reposants du jardin, j’ai puisé une énergie qui m’a fortifiée et m’a révélée à moi-même. Dans l’air sylvestre, j’ai acquis de la lucidité, j’ai mis de l’ordre dans mes sentiments et j’ai redressé les épaules.

Une transformation fleurissante

Dans cette bulle harmonieuse et paisible, tout en douceur, je me suis transformée. Je n’étais plus en permanence dans un état de doute : au-dedans, ça devenait paisible. Dans ce jardin que j’imaginais de plus en plus luxuriant avec les ans, je me suis créé un espace intérieur vivace. À travers cette passion, j’ai pris conscience qu’il restait un balbutiement de confiance et de combativité au fond de moi et que, si j’avais pu m’adapter à ce passé éprouvant, j’aurais la force intérieure de me construire un futur heureux. J’ai compris que, même si j’étais devenue une « méfiante chronique », je n’étais pas une cause perdue. En prenant soin quotidiennement des fleurs, de belle façon, je me suis réconciliée avec moi-même et j’ai découvert que c’était par la créativité que j’arriverais à devenir ce que j’étais vraiment. J’avais maintenant les idées claires : je connaissais mes forces et un meilleur avenir s’ouvrait à moi.

Aux yeux de mon amoureux, qui a des observations et un raisonnement humoristiquement pragmatique et incisif, je suis un peu bizarre quand je dis que le jardin de fleurs m’a conduite dans un autre monde. Il est vrai que de dire des fleurs qu’elles sont une symphonie de roses et un doux camaïeu de bleus peut paraître une passion quelque peu folle. Bizarres ou pas, les fleurs ont eu une incidence dans ma vie : c’est au jardin que ma carrière d’être humain abîmé a affiné son intuition.

La douce réparation

Le procédé de réparation suit parfois des chemins étranges. Jardiner, au soleil, en écoutant le bavardage des mésanges, a eu sur moi l’effet de la douceur du chocolat. C’était une injection bienfaisante de vitamine D et de sérotonine. Sous le bruissement doux et parfumé du vent d’été, je suis devenue perméable à tout ce beau qui m’entourait et, comme un papillon, il m’a poussé des ailes. Cependant, en toute honnêteté, les émotions du passé n’étaient jamais très loin sous la peau et, comme par réflexe, elles se frayaient souvent un chemin dans le présent. Néanmoins, j’avais la ferme intention de me préparer une vie d’adulte saine qui ne s’écrirait pas sans moi. Comme pour tous un chacun, ma vie d’enfant s’était écrite à mon insu et, si on ne choisit pas le début de sa vie, on peut choisir qui l’on devient et comment on veut vivre. La vie m’offrait l’occasion d’une deuxième chance.

Parce que les jours d’été me communiquent une vitalité que je n’ai pas en d’autres saisons, je souhaite être entourée toute l’année d’une vie fleurie, mais vient le temps où de longues ombres se dessinent. Le bleu du ciel n’a plus la même texture et l’espace-temps n’est plus le même. Je ne m’habitue pas à voir si tôt la lumière d’été pâlir et les heures d’ensoleillement raccourcir. Le temps des fleurs a encore passé trop vite. Malgré le froid, je ne me résigne pas à fermer mon jardin.

Quand le soleil couchant incendie la cime des feuillages vert céladon des sapins, des effluves de phlox flottent encore dans l’air du soir, mais le soleil levant fait maintenant la grasse matinée et la plupart des oiseaux que j’aime tant entendre au lever du jour ont fui; ceux qui se sont laissés prendre par l’été indien sont silencieux. Les quelques fleurs qui restent frissonnent et le vénérable rosier transplanté du jardin de mes parents tremblote. Le ciel grisonne et blanchit, c’est le moment de couvrir les plantes les plus fragiles. Le jardin est triste à regarder. Prendre soin du jardin me manque. Comme dirait ma vieille tante, j’ai « pris un mauvais pli » et j’ai maintenant peine à m’en passer.

L’hiver et l’écriture

Ce sera bientôt l’heure d’hiver, les nuits froides et le grand isolement. Les fleurs sont comme un amoureux fidèle, elles partent, mais elles reviennent au joli mois de mai. En attendant, il me faudra remplacer les fleurs par une activité épanouissante : quelque chose d’agréable et de créatif qui me donnera, autant que le jardin, un sentiment de bonheur. Depuis que je sais lire, un éclat de rêve s’est ficelé à mes pensées et, de plus en plus souvent, il murmure à mes oreilles : j’y ai enfin prêté attention. En attendant que le monde du dehors redevienne vert, j’écrirai. Je m’en sais maintenant capable.

Je jetterai d’abord sur le papier les mots malveillants, culpabilisants et douloureux qui ont fait partie du répertoire de mon enfance. Ensuite, dans le plus doux des langages, je traduirai, tout en douceur, les pensées, les sentiments et les émotions des jeunes filles qui croient n’être qu’une petite chose. J’écrirai pour que celles dont le départ dans la vie s’est mal passé sachent qu’elles ne sont responsables que de leur vie présente et de leur bonheur futur et non de leur passé d’enfant. J’écrirai pour qu’elles se réparent et deviennent ce qu’elles désirent être.

Tout comme le jardinage, écrire est un moyen noble de soulager et de supporter l’humain dans les épreuves. Je n’ai pas la prétention de croire que les mots ont le pouvoir de changer des vies, mais, si pour certaines, ils contribuent à mettre dans la tête de superbes images qui font rêver d’une plus épanouissante vie de femme, ça sera déjà le début d’un beau jardin à fleurir.

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1 Comment
  1. Chère Claudette,

    Oui, je peux dire chère car, avec ces quelques phrases et images si douces, vous avez rejoint mon coeur. Vous m’invitez à mon tour à me reconstruire. À 65 ans, il ne sera pas trop tôt! Récemment, un professionnel de la santé m’a dit : « Tu es cette petite fille dont la maison a brûlé et tu restes là (encore aujourd’hui), assise près du tas de cendre…
    Tourne cette page et sublime ta colère. Il m’a suggéré la boxe, l’aide humanitaire, le défoulement par des idées plutôt abracadabrantes. Mais il a semé une graine et, votre texte de ce matin vient confirmer que l’on peut guérir par des moyens à notre portée, par des moyens qui nous ressemblent.
    Merci du fond du coeur xx

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