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Tranche de vie: Il est toujours temps

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J’imagine que cela arrive à tout le monde de se questionner sur les choix et les décisions prises au cours des années. Je ne parle pas des doutes occasionnels que l’on rencontre de temps en temps, mais d’une vaste remise en question.

Ma place à moi…

Pour moi, c’était il y a une dizaine d’années. Comme je ne faisais jamais les choses à moitié, j’avais remis dans la balance l’entièreté de mon existence, à partir du moment où j’étais devenue la seule responsable de mon destin. Le bilan était médiocre et j’avais de quoi être insatisfaite de mes performances. Jeune étudiante volage, j’avais butiné dans des domaines complètement différents, sans jamais m’engager ni terminer aucun de ces programmes. J’avais goûté à la psychologie, l’architecture, les arts et la littérature. Toujours indécise, et comme il fallait bien gagner ma vie, j’avais laissé les études pour le marché du travail, sans jamais y trouver ma place.

Tous les jours, je me disais que, sûrement, il y avait plus à la vie. Je rêvais grand, mais je n’arrivais pas à me décider où mettre mes énergies. Je m’efforçais donc de pimenter mes journées en peignant des pots de fleurs à défaut de fresques, en écrivant un journal à défaut d’un roman. Mais ce n’était jamais assez pour me garder en place, et je rêvais d’un ailleurs qui comblerait mes attentes. L’insatisfaction m’avait éventuellement poussée à terminer au moins ma formation pour devenir psychothérapeute, ce qui m’avait laissée avec quelques outils qui me seraient éventuellement utiles.

Mes écrits de l’époque me ramènent à une période tourmentée, qui était un peu ma traversée du désert. À travers toutes mes errances, il m’avait tout de même fallu composer avec un statut de mère monoparentale. Curieusement, ces difficultés, loin d’être un fardeau, calmaient mes angoisses existentielles. Elles m’offraient une sorte de refuge, un espace où je pouvais justifier mon manque d’ambition personnelle. J’avais l’excuse parfaite pour ne pas m’investir pleinement dans mon avenir professionnel, pour mettre en pause mes rêves et mes aspirations qui semblaient, de toute façon, hors de portée. Je me disais que j’avais tout raté, j’avais trop tardé et manqué ma chance, il était trop tard pour devenir écrivaine, ou artiste. Autant mettre mes efforts sur l’éducation de mes enfants.

Mes tâches quotidiennes avaient cependant l’avantage de m’ancrer dans le présent et de me donner une direction claire, ce qui ne m’empêchait pas, à l’occasion, de me demander ce que j’aurais accompli si j’y avais mis la même détermination. La question demeurait sans réponse, même si le malaise sous-jacent était toujours là, en dormance.

Peut-on vraiment se contenter de vivre pour les autres sans qu’un peu de soi ne soit perdu à tout jamais?

Le destin a frappé

C’est à l’aube de la cinquantaine que, sans crier gare, le destin a frappé à ma porte sous les traits de l’homme de ma vie. Il est entré comme une tornade, bouleversant habitudes et certitudes. À l’âge de cinquante-cinq ans, il venait de démarrer une toute nouvelle entreprise. Je le regardais aller, emporté par des projets qu’il allait mener à bien, j’en étais certaine. Son enthousiasme me faisait envie. Quand je lui parlais de ce que j’avais rêvé de faire dans la vie, il me disait de cesser de rêver et de le faire. J’étais mon seul obstacle. Et c’était vrai, j’avais toujours mis une obligation entre moi et mes rêves.

Son travail l’amenait à beaucoup voyager et pendant ses absences, je me suis mise à suivre des cours. Je m’inscrivais à tout ce qui me permettait de concrétiser mes rêves. Lentement, un virage se dessinait. Je me disais que même si je n’atteignais pas le sommet, la route en valait la peine. C’est à ce moment-là que le destin, infiniment patient, a bien voulu me donner un coup de pouce additionnel.

J’étais en vacances en Croatie avec mon mari qui, lui, était en voyage d’affaires. J’avais traîné avec moi une valise pleine de livres. Que faire d’autre là-bas? Mon mari travaillerait toute la journée. Nous profitions de nos soirées pour visiter la ville, mais, toute seule, j’avais peur de l’inconnu et je manquais de courage pour l’affronter. Nous avions loué une maison qui donnait sur le port, dans une petite rue pittoresque bordée de restaurants et de boutiques. Un endroit charmant. Comme nous avions une grande terrasse, je m’y installais pour lire. Au début, tout allait bien. Mais le troisième jour, les choses ont commencé à changer.

Une délicieuse excitation

Ce matin-là, mon mari allait à la rencontre de nouveaux clients. En le regardant partir, j’enviais son dynamisme et la légèreté de son pas quand le taxi est arrivé. Après son départ, la maison était redevenue silencieuse et me déprimait tout à coup. J’étais énervée, sans trop savoir quelle mouche m’avait piquée. Puis j’ai repris mon livre, mais le cœur n’y était plus. Après avoir relu trois fois le même paragraphe, je l’ai refermé. Je n’avais plus envie d’attendre mon chéri, j’avais envie d’une aventure à moi toute seule.

Une idée folle m’est venue: moi aussi je sortirais. J’irais au-devant de la ville. Je marcherais dans les rues à la découverte des artistes locaux. Je me souviens, j’ai couru m’habiller. T-shirt, jeans, souliers de course, une carte de crédit et cinquante euros, c’était tout ce qu’il me fallait. Le cœur battant, j’ai verrouillé la porte derrière moi.

En descendant l’escalier, une délicieuse excitation m’avait envahie. L’odeur du poissonnier du coin me parvenait, m’enivrait comme l’aurait fait un parfum exotique. Une conversation à laquelle je ne comprenais rien me ravissait par sa musique insolite. La vue des bateaux qui tanguaient dans le port, les voiles au loin, tout m’émerveillait.

Je me suis mise à marcher, de rue en rue, guidée seulement par mon envie de vivre pleinement cette aventure. Les noms des rues se ressemblaient tous et j’avais vite renoncé à m’en souvenir. De toute façon, j’étais déjà perdue. J’allais sûrement le regretter plus tard, mais pour le moment j’étais tout entière consumée par l’urgence d’aller jusqu’au bout de mon odyssée.

J’ai marché des heures sans m’arrêter. Dans une rue marchande, étroite et très achalandée, des petits restaurants se succédaient pour offrir des plats locaux. Des vendeurs de foulards et de sandales étalaient leur bazar et des musiciens passaient le chapeau aux touristes attroupés. Le mélange d’odeurs, de couleurs et de musique créait une ambiance de fête. Je m’attendais à quelque chose, sans savoir quoi.

Et puis, le miracle est arrivé.

Je me suis retrouvée transportée dans un autre monde. Tellement que pendant quelques secondes, je me suis immobilisée pour en prendre plein la vue. Au détour de la rue commerciale, sans transition, s’étendait à perte de vue une immense plage de sable blond. La mer, sans fin, ondulait sous le soleil de midi. Les vagues argentées venaient doucement frapper la muraille de pierre où finissait la terrasse couverte d’un très joli restaurant. J’ai eu l’impression d’arriver devant une oasis. Je me suis retournée, la ville était toujours là, son agitation aussi. Il était midi, j’avais faim.

Un serveur en uniforme, serviette blanche pliée sur le bras, est venu m’accueillir. La carte des vins offrait un choix varié et j’ai opté pour un verre de rosé local, suivi d’une exquise salade de fruits de mer. Au loin, des enfants se baignaient. Sur la plage, de jeunes guitaristes jouaient des airs que je ne connaissais pas. J’y ai passé au moins deux heures, à regarder la mer et les nombreuses voiles qui dansaient au loin.

Je me sentais envahie d’une paix profonde. Et j’ai pensé que la seule façon pour moi de préserver cet instant, c’était de l’écrire. Pas de le peindre, pas de créer un objet quelconque. J’avais envie de l’envelopper de mots doux comme du papier de soie. C’est seulement à ce moment-là que j’ai compris que je voulais être écrivaine. C’est là que j’ai su que j’étais écrivaine. Oui, j’avais beaucoup d’autres intérêts, mais ma responsabilité première, c’était d’écrire.

Une découverte de soi

Quand mon mari est arrivé ce soir-là, j’étais installée avec un livre sur la grande terrasse. Les lumières des bateaux se reflétaient sur le bleu de la mer, il y avait un vent doux et chaud. Je lui ai raconté mon étonnante aventure, sans lui faire part de mes réflexions que j’avais besoin de garder pour moi seule, le temps d’en ressentir la solidité, et de m’assurer que ce n’était pas le résultat d’une sorte d’enchantement temporaire. Est-ce que vraiment je saurais canaliser mes efforts sans m’éparpiller? Le lendemain, j’ai voulu retourner sur cette plage, mais j’ai eu beau décrire l’endroit, on m’envoyait ailleurs: des endroits similaires, mais ce n’était pas mon oasis. Mystérieusement, malgré mes efforts répétés, je ne l’ai jamais retrouvé. Ce qui compte, c’est que le sentiment qui m’habite depuis ne m’a plus jamais quittée.

Aujourd’hui, j’écris tous les matins. Moi qui avais si peur de n’avoir rien à dire, il m’arrive parfois d’oublier d’arrêter. Je lève les yeux, la lumière a baissé, il fait déjà bleu par la fenêtre.

J’ai fini par trouver ma place.

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